Boulimiques culturels...

kfigaro a écrit:

Christian a écrit:

Citation :

J’ai 56 ans et j’ai commencé à télécharger sur Napster en 2000, ensuite sur Kazaa, puis Emule et Bittorent. A une certaine époque, j’avais sur mes différents supports, dans les 40 000 albums et j’ai visionné environ 3000 films, le tout avec la plus grande facilité. Pourquoi continuerais-je ? J’ai déjà tout vu, tout écouté et il y maintenant bien longtemps que j’ai détruit la quasi totalité des ces données.

Cet homme est à plaindre. Maintenant qu'il a tout vu et tout écouté, il n'a plus qu'à mourir...

C'est bien mon avis aussi !

Je ne suis pas de cet avis : il lui reste à vivre tout ce qu'il a vu ou écouté concrètement, puisque la "culture médiatique" (ou culture du média serait plus juste) n'a rien à voir avec la culture vivante. Elle n'est qu'un support descriptif de celle-ci. Un exemple simple pour expliciter ma pensée : qui peut prétendre connaître le samba, même s'il a vu tout et écouté tout ce qui y touche de près, sans avoir vécu une roda de samba, un pagode, etc. ?

Et 40 000 écoutes et 3 000 visionnages me semblent bien peu par rapport à la diversité culturelle et artistique du monde.


Mais j'vous rejoins sur un point, je vois pas l'intérêt de tant d'écoutes et visionnages en si peu de temps, où est la saveur dans tout ça ? J'trouve ça très industriel.

C'est très industriel en effet, à l'image de notre société hypermoderne d'ailleurs : nous vivons bel et bien le paradigme du "tout ! tout de suite", de la compétition inter et intra-individuelle au niveau des loisirs (le but du jeu étant d'être le plus malin pour accumuler le plus de choses à la fois en vue de distinction mais surtout "d'auto-distinction") et de l'excès.

En fait, Lipovetsky mais surtout Nicole Aubert expliquent que la grande différence par rapport aux époques modernes et post-modernes est vraiment liée au nouveau rapport au temps. Dans le passé proche, la vie de chaque individu était réglée sur un rythme très rigide et normatif, tout a explosé depuis l'ère hypermoderne (portables, ordinateurs, internet, etc...) : le rythme actuel est devenu éffrené, chaotique, désorganisé et intrinsèquement relié à chaque individu (donc anormatif).

Alfinete, je ne me placerais pas sur le plan de la sociologie pour ma part. Plus sur celui de la poésie, ou de la philosophie, ces matières qui au delà de toute érudition nous permettent de vivre.
Avoir tout vu, tout écouté, c'est avant tout pour moi ne plus être curieux, ne plus avoir de désir. Ce brave homme parle de culture, mais l'on peut aisément faire le parallèle avec sa vie. C'est peut-être un peu hardi, et je n'en ai pas le droit, ne le connaissant pas.

A moins que une fois le désir enfui, il nous reste la sérénité, la sagesse... Vision bouddhiste que j'ai bien du mal à partager.

Christian a écrit:

Alfinete, je ne me placerais pas sur le plan de la sociologie pour ma part. Plus sur celui de la poésie, ou de la philosophie, ces matières qui au delà de toute érudition nous permettent de vivre.
Avoir tout vu, tout écouté, c'est avant tout pour moi ne plus être curieux, ne plus avoir de désir. Ce brave homme parle de culture, mais l'on peut aisément faire le parallèle avec sa vie. C'est peut-être un peu hardi, et je n'en ai pas le droit, ne le connaissant pas.

A moins que une fois le désir enfui, il nous reste la sérénité, la sagesse... Vision bouddhiste que j'ai bien du mal à partager.

Je suis entièrement d'accord ! (Mais par pitié je ne suis pas sociologue, mais anthropologue, ça change tout )

Alfinete a écrit:

Mais j'vous rejoins sur un point, je vois pas l'intérêt de tant d'écoutes et visionnages en si peu de temps, où est la saveur dans tout ça ? J'trouve ça très industriel.

Surtout quand on a pas lu vénilia.

De toute façon c'est comme la confiture

wuwei a écrit:

De toute façon c'est comme la confiture

Et comme les parachutes

Wuwei, c'est de l'humour d'anthropologue ?

C'est en tout cas bien trop crypté pour moi.

Idem...

Bonsoir Christian, Bonsoir Kfigaro

Vénilia c’était une pub qui passait à la téloche il y a quelques années. Lui, expliquant qu’il lisait Kant, Pascal, Nietzsche, Platon etc.. Sa nouvelle gonzesse à la vue de la déco désastreuse de son appart lui fit simplement cette réflexion..

Vous n’avez pas pu la regarder évidemment vous passez plus de temps à écouter de la musique et à lire des bouquins.

Ah OK ! ça ne me dit rien du tout, je vais regarder ça...

J'viens de me rendre compte à ma grande surprise (j'avais jamais fait gaffe !) que je viens de dépasser les 6 000 pistes de musiques brésiliennes sur mon PC.

Quand même ! et tu as tout écouté ?

Bonjour les gars!
Wow, quel topic, "c'est énorme", comme dirait Lucchini.

Voici la première réflexion que tout cela m'inspire, avant éventuellement d'aller plus loin : il vaut mieux être gourmet que boulimique. Littéralement bien sûr, mais métaphoriquement aussi, appliqué à la culture. Hédonisme vs. geekerie, quoi.

Si je me goinfrais le plus possible, je serais malade, et du coup je ne profiterais pas des nutriments de ce que j'ai ingurgité. Et comme la culture est bien la nourriture de l'esprit (voire de l'âme), le parallèle avec les désordres alimentaires est en fait tout à fait pertinent à mon avis.

Pour moi ça marche comme ça, en tout cas. Je picore des choses fines et délicieuses, et je les savoure à fond, le temps qu'il faut.
Quitte à ne pas pouvoir tout goûter dans ma vie ! Je me dis qu'à la fin je préfèrerai avoir pleinement apprécié ce que j'aurai connu; plutôt que d'avoir couru toute ma vie après l'illusion qu'on peut tout connaître sans prendre le temps de la digestion.

Mais bon, c'est mon avis à 27 ans. Peut-être que les années passant, on flippe. Ou alors c'est juste que je n'ai pas le gêne de la collectionite (y'a-t-il déjà eu à votre connaissance des études sociologiques ou anthropologiques sur le sexe des collectionneurs, by the way ?)

Lisa

Le seul livre que je connaisse sur le sujet (il en existe extrêmement peu !) ne cite absolument que des hommes... Il s'agit de l'ouvrage "Le collectionneur : anatomie d'une passion" de Werner Muensterberger, dont j'ai déjà parlé ici même :

http://astore.amazon.fr/chet-21/detail/2228890014

Il existe aussi 2 ou 3 bouquins de référence sur les autodidactes (je vous donnerais la liste précise), et là encore peu de femmes sont citées...

C'est marrant... Pourquoi les femmes ne ressentent-elles pas ce besoin de collectionner ? Ont-elles d'autres stratégies pour gérer leur peur de la mort, du temps qui passe...? Serait-ce lié à leur faculté à donner la vie ?

Ah mais non, c'est plus simple, les femmes elles ont le privilège de disposer de toute une batterie de crèmes anti-rides aux parabens ! Alors "même pas peur" !

kfigaro a écrit:

Il existe aussi 2 ou 3 bouquins de référence sur les autodidactes (je vous donnerais la liste précise), et là encore peu de femmes sont citées...

Autant collectionneur, ça peut sembler une "tare" (je ne trouve pas de mot moins stigmatisant, là tout de suite, désolée), autant autodidacte c'est admirable.
Est-ce que ce sont deux phénomènes liés, pour toi ? Est-ce que ce sont deux manifestations d'une même caractéristique (masculine) ? Est-ce que l'autodidacte est en fait un collectionneur, mais un collectionneur de savoirs ?

C'est vrai que je connais quelques autodidactes, et tous hommes.
Mh.
Moi, j'ai essayé d'apprendre l'espagnol. La guitare (la jolie guitare bleue que j'ai achetée à l'époque sert d'élément de décoration depuis bien longtemps). La sophrologie. L'informatique. Mais je ne vais pas loin à chaque fois. J'ai vraiment besoin d'un prof. Et pas n'importe quel prof, car j'ai besoin (comme en psy ?) de pouvoir faire un transfert affectif. C'est grave docteur ?

Heureusement, en matière de culture musicale, j'ai le meilleur prof qui soit en la personne de mon mari.

Oui en fait l'autodidacte est une sorte de "collectionneur de savoir" mais de façon "anarchique", souvent dans le désordre et sans méthode. Dans le livre de référence " Autodidaxie et autodidactes", Christian Verrier explique justement en détail la "boulimie" pantagruélique de l'autodidacte (Gittes qui intervient au début de ce topic est d'ailleurs un exemple réellement unique d'autodidacte complet et ultra boulimique - le mot est faible... imagine une sorte de chimère sociale : "corps" de prolétaire et tête d'universitaire de haut niveau, c'est pratiquement ça) et le fait de vouloir tout "avaler", tout engloutir, comme si le temps était compté ou qu'il fallait rattraper le "temps perdu".

L'auteur cite également le cas de l'écrivain Jack London qui fut également dans ce cas là.

Sinon il faut inviter ton mari à venir nous rejoindre !

PS : cela dit en passant, il a bien de la chance ton époux, j'ai encore visionné tes photos sur ton site ce matin et je l'envie un peu...

J'ai écouté 85% environ, j'achète toujours mes cds à l'avance pour avoir de quoi écouter ensuite. Pis y a énormément de cd de capoeira aussi. Je suis surpris d'en avoir autant, je pensais pas ! Et le pire c'est que j'ai quasiment pas de Bossa Nova en y regardant de plus près

Alors va falloir t'y mettre d'urgence !

kfigaro a écrit:

Sinon il faut inviter ton mari à venir nous rejoindre !

PS : cela dit en passant, il a bien de la chance ton époux, j'ai encore visionné tes photos sur ton site ce matin et je l'envie un peu...

Oui, je l'invite régulièrement à lire les topics auxquels je participe. Ça l'intéresse beaucoup. D'ailleurs il n'est pas exclu qu'un jour il prenne la parole. Je nous ai inscrits en tant que Tom's Club, et Tom's Club c'est nous deux (même si c'est moi la bavarde )

PS : c'est bien vrai ça, qu'il a de la chance !

A ce moment là, qu'il mette son prénom pour qu'on sache que c'est lui et pas toi ! en tout cas, il est le bienvenu...

Tom's Club a écrit:

C'est marrant... Pourquoi les femmes ne ressentent-elles pas ce besoin de collectionner ? Ont-elles d'autres stratégies pour gérer leur peur de la mort, du temps qui passe...? Serait-ce lié à leur faculté à donner la vie ?

Question à notre sociologue préféré : aucune notion de pouvoir chez le collectionneur. Le pouvoir, la possession, c'est très masculin non ?

Mmmh, c'est pas moi le sociologue, mais je vais tenter une remarque quand-même : je ne suis pas sûre que l'attrait pour le pouvoir et la possession soit exclusivement masculin...
En tout cas, pour ce qui est de la possession, je suis à peu près sûre que ce n'est pas que masculin.

Oui, c'est ce que je me disais en écrivant mon post. La possession, c'est très féminin aussi...

Werner Muensterberger parle effectivement un peu de cette histoire de possession (en fait il la rapporte au stade anal) mais pour lui, ça relève plus de la "Mana" : sorte de pouvoir magique que les collectionneurs projettent sur leurs acquisitions (surtout les objets)...

Attention aussi à ne pas mélanger "collectionneur" d'objets (notamment de luxe) et autodidacte, l'un est très souvent un grand bourgeois, très riche et esthète, et l'autre est, au contraire issu de classes défavorisées (même s'il existe plein d'exceptions, y compris des autodidactes dit "légitimes" car déjà dotés d'un fort capital scolaire) qui tente inconsciemment d'égaler la classe plus cultivée qu'il convoite sans réellement s'en rendre compte.