Quiz de l'oubli

Les petits écoliers de France
dans leurs livres de classe
n'ont pas appris cette histoire-là
qui trépasse de guerre lasse.

C'est que l'Histoire de France est souvent oublieuse
et ne retient dans le Grand Livre des heures glorieuses
que les succès mémorables et jette au vent de l'oubli
les noms perdus dans les sables mouvants de jadis.

Mars 1612[b]
Port de Cancale, Nord Bretagne.
La mer est bleue, le vent porteur.
Première aube du premier jour
des premiers bonheurs entrevus.

Sur trois bateaux, 500 colons
les yeux portés sur l'horizon
s'apprêtent à quitter Terre de France
et vers l'Au-delà fonder nouvelle France.

En saurons-nous plus,
et saurons-nous jamais
pourquoi en Terre de Brésil
ne se parle pas aujourd'hui
le doux langage de France?

ça coince?
tà dificil?

Exprimez-vous!
é sò perguntar!

Je ne suis pas chiche de révélations
mais il faut donner un peu d'intérêt,
car sinon la réponse restera pour moi
bien gardée dans les archives de Cancale.

Serà que tem um maranhense por aì
sò pra me ajudar e dar um jeito
nessa gente preguisoça?

Cancale est le port d’où partirent en 1612 les navires de Daniel de La Touche, Seigneur de la Ravardière, pour le Brésil : la Régente, la Charlotte et la Sainte Anne. Daniel de La Touche fut le premier fondateur de la ville de São Luis dans le Maranhão au Brésil.

La domination française fut de courte durée. Dès 1615, São Luís est reprise tour à tour par les Portugais, les Hollandais (1641), puis à nouveau par les Portugais, en 1644

On a "perdu" le Brésil à cause des guerres de religion?

Si tu as lu Rouge Brésil,
prix Goncourt 2001
de Jean-Christophe Rufin
tu sais que les démons
des guerres de religion
sont en partie responsables
en effet
de la perte de Rio de Janeiro
et de la France Antarctique,
rêve d'un Brésil français,
par Nicolas Durand de Villegagnon
entre 1555 et 1560.

Mais au Maranhão,
de 1612 à 1615,
la religion n'est pour rien
dans le triste destin
de Daniel de la Touche,
Seigneur de la Ravardière,
qui partit de Cancale
petit port de Bretagne
et fonda la seule ville
et Capitale d'Etat
brésilienne
d'origine française.

J'y reviendrai demain
si j'ai un peu de temps
car ce pan d'Histoire
est vraiment intéressant
je crois.

Daniel de la Touche
n'était pas seul
dans sa traversée
périlleuse, car sur
Régente
Charlotte
et Sainte-Anne,
bons matelots
et bons capitaines,
François de Rasilly
Nicolas de Harley,
et même moine
capucin,
Claude d'Abbeville,
il emmenait avec lui.

Devant la mairie de São Luis
do Maranhão
aujourd'hui
le buste de
Daniel de la Touche
Seigneur de la Ravardière
fondateur de la ville.

Je sais que je me répète mais, encore une fois, je recommande chaudement "Rouge Brésil"


www.llorca-shewan.net

Je recommande encore plus chaudement
"Equinoxiales" (1977)
de Gilles Lapouge,
une merveille de style
et d'écriture.

Description:
" Le Brésil fascine la Renaissance. De tous les havres de France, des bateaux appareillent. Des ramas de nobles et de voyous patrouillent en Amazonie, à Sao-Luiz, à Bahia, à Rio de Janeiro. Bientôt, les Français auront raflé assez de terre pour baptiser le domaine, ce sera la France équinoxiale. J'ai passé trois mois dans les terres équinoxiales. Comme elles sont très anciennes, j'ai évité l'avion. L'autocar était mieux accordé à ce voyage : ce n'est point dans l'espace qu'il se promène, c'est dans le temps. Il me dépouille de mes oripeaux. Il efface mon identité, ma mémoire. C'est incognito que je me déplace. Me voilà flou, sans figure ni biographie. Je ne sais plus où je me suis mis. Et comme je ne suis plus, je pense. Je ne vais pas raconter que je suis allé en Amazonie. A peine ai-je fait quatre pas dans ses nuages. Je n'ai même pas écarté le rideau d'arbres qui la cache. Si j'ai cru par instant deviner quelque chose, c'était une ombre, une forêt comme un fantôme, un tremblement sous un voile mais quels fanfarons, ceux qui connaissent l'Amazonie, est-ce qu'on connaît la mer ?"

Daniel de la Touche,
Seigneur de la Ravardière,
était accompagné,
dans sa traversée
de Cancale à l'île de Maragnan
de Pères Capucins
Claude d'Abbeville
Arsène de Paris
Yves d'Evreux

Au début de l'année 1614,
paraît l' Histoire de la Mission des Pères Capucins en l'Isle de Maragnon et terres circonvoisines où est traité des singularités admirables & des mœurs merveilleuses des Indiens habitants de ce pays... (Paris, chez François Huby, 1614),
récit complet du voyage à Maragnan de son auteur, le R.P. Claude d'Abbeville, jusqu'à son retour en France accompagné‚ du Sieur de Rasilly et de six ambassadeurs Tupinamba.
La publication de ce livre témoigne du même but que l'ensemble des cérémonies spectaculaires qui ont lieu à Paris avec la présence des Sauvages, tels leur baptême solennel et leur réception au Louvre par le Roi Louis XIII et la Reine régente.
Le tout vise, en effet, à encourager de nouveaux commanditaires et à préparer une possible immigration vers la colonie brésilienne.

Un an plus tard, en 1615,
le Capucin Yves d'Evreux obtient le privilège du Roi
pour la publication d'un second récit sur la mission française,
intitulé Suite de l'Histoire des choses mémorables advenues en Maragnan les années 1613 & 1614... (Paris, chez François Huby, 1615).
Néanmoins, les exemplaires du livre du P. Yves d'Evreux ne seront jamais diffusés, car ils sont détruits dans les ateliers de l'imprimeur, attitude qui obéit certainement aux directives d'une même politique, qui mène la monarchie française à laisser périr son entreprise coloniale au Brésil.
Par des mesures diplomatiques vis-à-vis de l'Espagne, en vue du mariage du jeune Roi Louis XIII avec l'Infante Espagnole Anne d'Autriche, la France ne soutient plus le projet de colonisation au nord du Brésil.
Lorsque, vers la fin du mois d'août 1614, les Portugais commencent le blocus de l'Isle de Saint Louis, la France n'envoie aucun renfort à Maragnan.
En novembre 1615, un an plus tard, la France Equinoxiale n'existe plus.

J'avais oublié
que comme les trois mousquetaires
Athos
Porthos
Aramis
Gentilhommes de Béarn
il y en avait un quatrième
d'aussi grande renommée
et non moins célèbre
d'Artagnan
Gentilhomme de Gascogne.

De même,
Daniel de la Touche,
Seigneur de la Ravardière,
emmenait dans son expédition
de l'autre côté de l'Atlantique
trois Pères Capucins
Claude d'Abbeville
Yves d'Evreux
Arsène de Paris
et un quatrième
que j'ai failli oublier
Ambroise d'Amiens.

Les trois premiers
rentrèrent en France
et moururent
en terre maternelle.
Le Père Ambroise d'Amiens
repose au Brésil
car des quatre il fut le seul
qui ne revit pas l'Europe.

Ah, mais pour moi ce n'est pas un quizz de l'oubli. Ce topic m'intéresse tout particulièrement et je me suis régalé à le lire depuis ton premier post.Tout comme toi Silvio, j'ai touché de près la statue de Daniel de la touche.

J'avais déjà tenté il y a quelques années d'approcher cette histoire de la fondation de l' Ilha do Amor. Dans le livre de Aluzio de Azevedo :" O Mulato" ,que j'ai lu en VO il y a déjà plusieurs années ( cet auteur Maranhense figure parmi les classiques de la littérature brésilienne, il est considéré comme le pionnier du Naturalisme importé d'Europe) , il y a quelques passages et une partie de la bibliographie faisant référence aux personnages historiques dont tu parles.J'ai découvert par exemple, que quelques écrits d' époque en langue française ( sur l'histoire de l' expédition ) étaient conservés à la BNF. Ce n'est donc pas facilement accessible.Mais tu apportes de nombreux renseignements commplémentaires, avec des titres d'ouvrages...

Par exemple, d'après mes souvenirs, l'expédition avait pour origine Saint Malo et non pas Cancale ( même si les deux villes sont très proches ). C'est donc plus que probablement une erreur de ma part, surtout que Saint Malo est un endroit difficile pour accoster ( pièges rocheux...).

A Sao Luis tout le monde ou presque sait qui est Daniel de la Touche et que les français ont fondé la ville,qu'ils ont bien traité les Indiens...Cependant, ce qui est assez drôle, c'est que peu de monde le connaît sous son vrai nom Seigneur de la Ravardière.Et pas tant de monde que cela dans la culture populaire fait l'analogie Saint Louis-Louis XIII.

Les autres compagnons de voyage que tu cites tels que Yves d'Evreux, Ambroise d' Amiens... ont laissé également leur empreinte.

Par exemple, à l'entrée de la punta d' Areia, côté droit de la route du littoral, après avoir quitté le centre historique et avoir traversé le pont San Francisco , il y a un hôtel qui a pour nom Hôtel d'Abbeville.

Je connais Sao Luis de long en large, des plus beaux quartiers, comme la Lagoa da Jansen, Cohab, centro historico , Madre Deus, jusqu'aux plus modestes et parfois mal-famés: Cohatrac, Cohama, Alemanha, San Raimundo ( derrière l'aéroport) Libertade, Turu... J'ai déjà séjourné à Turu (quartier ou les éléments naturels sont encore très présents, avec des résidus de culture indienne) .

Mais ma maison se trouve dans le quartier de Camboa ' à 10 mn à pied du centre historique) , rua do Maraja exactement, c'est là que je me sens vraiment bien :quartier et rue relativement paisible, cohabitant à l'angle avec le quartier ultra chaud de Liberdade ( favelas sur pilotis) .Sans doute un des plus pauvres et plus périlleux de tout le Brésil, même dans la rue principale où j'ai acheté du poulet et même accompagné par des gens du quarier, je devais faisais attention à tous mes faits et gestes.

Mon seul regret est de ne pas encore avoir visité le fabuleux Palacio dos Leoes, mais ça viendra si Deus Quizer.

Merci pour ton post
car tout comme toi
j'ai un penchant très particulier
et depuis bien longtemps
pour São Luis do Maranhão
même si je connais et aime
beaucoup d'autres villes
au Brésil.

J'ai eu l'occasion de visiter
le Palais des Lions
et d'y être invité à dîner.

C'était à l'époque du Gouvernement
Luis Rocha (1983-1987)
lors d' une réception donnée
en l'honneur de la première visite
d'un Ambassadeur de France
dans la ville fondée par ses ancêtres,
symboliquement aussi, dans la ville
de son nouveau président, José Sarney,
après le retour de la démocratie au Brésil.

C'était en 1985
pour le centenaire de la mort
de Victor Hugo, et l'Ambassadeur
avant de défiler en habit blanc
devant le buste de la Ravardière
et de passer en revue la garde
avait prononcé une conférence
sur le grand écrivain français
devant un public nombreux
réuni au Rectorat, et attiré
tout à la fois par ce visiteur
et par son intérêt pour Victor Hugo.

Une idée en menant à une autre
Spanish
ton post nous ramènera à São Luis,
de Aluisio Azevedo
à Daniel de la Touche,
car le spécialiste français incontesté
de ces deux sujets
est Jean-Yves Mérian,
auteur d'une thèse sur Aluízio Azevedo et le
roman naturaliste au Brésil et de la biographie
de l'auteur de O mulato et de o Cortiço.

Aluísio Azevedo, vida e obra (1857-1913); o verdadeiro Brasil do século XIX. Rio de Janeiro: Espaço e Tempo, 1988.

Il vient aussi de publier (en français cette fois),
un livre qui devrait réjouir tous ceux qui s'intéressent
à la Bretagne, à la marine, aux expéditions...et à São Luis.



Les Aventures des Bretons au Brésil à l'Epoque Coloniale, de Jean-Yves Mérian
- Lors de l’arrivée de la flotte du Portugais Pedro Alvares Cabral sur les côtes du Brésil en 1500, des marins bretons et normands fréquentaient déjà la région et commerçaient avec les Indiens tupinabà et tupiniquim.
Dans la lutte qui allait longtemps opposer les Français et les Portugais pour le commerce, mais aussi pour l’établissement de comptoirs assurant une présence durable, les navigateurs bretons jouèrent un rôle de premier plan, qu’il s’agisse du projet de fondation de la France antarctique en 1555 dans la baie de Guanabara (Rio de Janeiro) sous la direction de Nicolas Durand de Villegaignon, vice-amiral de Bretagne, ou plus encore du projet de la France équinoxiale en 1610, avec la fondation de São Luís, dans l’île côtière du Maranhão, dans le nord du Brésil, par le seigneur de La Ravardière, parti de Cancale.
- Editions Les Portes du Large - décembre 2007 - ISSN 1950-0491
- ISBN : 978-2-914612-22-7 - 20 euros

Super Silvio tes deux derniers posts que je viens de lire vite fait.Mais au jourd'hui j'ai vraiment pas le temps. J'ai deux trois questions à te poser par rapport à des détails que j'avais remarqués. Discussion à continuer la prochaine fois, donc.De toute façon ce topic est désormais conservé bien au chaud et se poursuivra à chaque fois que cela s'imposera, car tu en connais beaucoup plus que moi. Je pense ( en tout cas j'espère ) que tu seras en mesure de répondre à mes interrogations.

"Par exemple, à l'entrée de la punta d' Areia, côté droit de la route du littoral, après avoir quitté le centre historique et avoir traversé le pont San Francisco , il y a un hôtel qui a pour nom Hôtel d'Abbeville."

Alors continuons...
en arrivant à l'aéroport, il faudra prendre à "Avenida dos Franceses" (l' Avenue des Français) pour se rendre dans le centre...

arrivés en plein centre historique, devant la mairie, vous admirerez le buste de Daniel de la Touche: le nom officiel de la mairie est le "Palàcio La Ravardière" (Le Palais de La Ravardière);

un peu plus loin, après avoir traversé le pont José Sarney, vers le quartier São Francisco, au n°375 Avenida Castelo Branco se trouve...l'Hôtel La Ravardière;

et comme par coïncidence deux parallèles l' Avenue Daniel de la Touche, qui rappelle le fondateur, et l'Avenue "São Luis Rei da França", le nom d'origine, aboutissent toutes deux na "Avenida dos Holandeses", qui longe le littoral, à deux pas de la magnifique plage de Olho d'Agua.

Quelques forts
abandonnés
de-ci de-là
oubliés,
peu cadastrés,
rappellent encore
le passage
- volage -
des Français
de La Ravardière
en cette ile
d' Upaon-Açu:

- le Fort São Luis (1612), entre le rio Anil et le rio Bacanga
- le Fort de Itapari (1613), actuelle São José de Ribamar
- le Fort do Sardinha (1614), Forte de Santo Antônio da Barra, sur l'actuelle ponta da Areia

Mais La Ravardière
Seigneur de la Touche,
né en Poitou,
n'en était pas
à son premier départ.

En 1604 déjà,
nommé
lieutenant général
"des Amazones à la Trinité"
il avait
une première fois
bravé l'Atlantique
sur l'ordre d'Henri IV.

Parti de Saint-Malo
en Bretagne,
le 12 janvier 1604
il avait atteint
le 9 avril
de la même année
la Baie d'Oyapock
- aujourd'hui frontière
naturelle entre Brésil
et Guyane française -
et s'était installé
sur l'île de Cayenne.

La Ravardière
était accompagné
dans cette traversée
- dit-on -
de Monsieur
Charles des Vaux
qui lui-même
avait fait la traversée
dix ans plus tôt
et parlait
le langage
des indiens
Tupinambas.

Une prochaine fois
je reviendrai
sur cet épisode.

Et dire qu'avant ce forum je ne savais même pas ( ou ne me rappelais même plus) que les français avaient mis les pieds à Rio.

Merci pour toutes ces énigmes qui montrent bien que l'intérêt de la France pour le Brésil et réciproquement n'étaient pas que le fruit du hasard.

Remontons encore dans le temps...
Dix ans avant la première expédition
de La Ravardière...

Le 15 mai 1594
deux armateurs de Dieppe,
Jacques Riffault et Charles des Vaux
prennent le large
sur trois navires
"avec l'intention d'y faire quelque conquête"
d'une colonie dans le nord du Brésil,
aidés en cela par un indien
ami des Français.

En abordant les côtes du Maranhão
ils perdent deux de leurs trois vaisseaux.

Riffault fonde un établissement provisoire
aidé en cela par les indiens Tupinambas
mais un an après, des dissentions
s'élèvent parmi les colons.
Jacques Riffault décide de rentrer en France.

Mais il ne pouvait ramener tous ceux
qui étaient partis avec lui,
et il dut y laisser quelques-uns
de ses compagnons...
sous le commandement
de Charles des Vaux,
qui resta sur l'ïle d'Upaon-Açu
plusieurs années,
pactisant avec les indiens
et apprenant leur langue.

Plan de São Luis do Maranhão (1602).
On aperçoit distinctement
au milieu de la carte
l'île de Upaon-Açu
(Ilha Grande/ Grande île)
entre la baie de São Marcos
et la baie de São José

Je me souviens
qu'en 1992
j'étais de retour
à São Luis
do Maranhão
qui fêtait alors
le 380e anniversaire
de sa fondation
en 1612
par les Français
de Daniel de la Touche
Seigneur de la Ravardière.

L'île était animée
comme jamais
par les festivités
et pour moi
qui revenais
sur cette terre bénie
après six ans d'absence
les retrouvailles
durèrent longtemps
et furent célébrées
comme il se doit
de moultes libations.

São Luis, praça João Lisboa.

O tempo passa, e flui como areia, meu amigo.