Philippe Sarde, compositeur presque de la même génération qu'un Howard Shore ou qu'un Danny Elfman, est une figure peu médiatisée et discrète mais pourtant majeure dans le petit monde de la bande originale de film francophone, à noter qu'il a aussi composé quelques sambas et bossas dans le cadre des "musiques de source" de ces films...
Après une enfance profondément musicale (il suivait sa mère à l'opéra, qui chantait Puccini entre autres) et des études au conservatoire (avec Noël Gallon et Georges Auric), il s'intéresse de très près à la réalisation (son frère Alain devient un producteur célèbre dans le cinéma français des années 70 jusqu'à aujourd'hui) et tourne à 20 ans un petit court métrage dont il écrit aussi la musique, puis est repéré par Claude Sautet à la suite d'un refus de Georges Delerue pour écrire la célèbre BO des "Choses de la vie".
"Les choses de la vie" : partition admirable dès le générique, contient non seulement "la chanson d'Hélène" (interprété par Romy Schneider et Michel Piccoli) mais aussi presque toutes les "graines musicales" à venir dans la carrière de Philippe Sarde : musique pastichée, "clins d'oeil" (à Vivaldi), expérimentations et dissonances ("l'accident" de Michel Piccoli), mélancolie et nostalgie typiquement sardienne...
Philippe Sarde est un passionné dingue de cinéma, contrairement à d'autres collègues comme J.Goldsmith, Maurice Jarre, J.Williams ou Bruno Coulais, il est avant tout un musicien DE cinéma qui n'a écrit QUE pour le 7ème art (il ne donne jamais de concerts, ni n'écrit de pièces hors-cinéma), capable d'un éventail impressionnant de styles et techniques, il possède la faculté très rare de se glisser complètement dans la peau du metteur en scène afin d'épouser au mieux son univers...
Philippe Sarde "met en scène" littéralement la musique dans le film, on peut presque dire que la musique de Sarde (souvent assez courte, elle dépasse rarement les 20-30 minutes de score sauf sur les films de J.J. Annaud) est un film dans le film puisqu'elle possède un "casting" impressionnant par le choix des solistes ou des chefs d'orchestre utilisés (Stan Getz, Stéphane Grappelli, Marcel Azzolla, Buster Williams, Ron Carter, Chet Baker, Carlo Savina, Peter Knight) ainsi que des prestigieux orchestres classés parmi les meilleurs du monde (London Symphony Orchestra, Santa Cecilia Orchestra, Orchestre de Paris...)
Ainsi et au contraire du conformisme Hollywoodien actuel trop due en partie aux pistes temporaires qui font que tant de partitions se ressemblent (trop de relents de Wagner, Carl Orff, Stravinski, Penderecki, etc...), la musique de Sarde conserve un charme et une saveur unique qui fait que certains cinéastes s'en servent pour la faire écouter aux acteurs sur le tournage.
Sa période la plus créatrice s'étend de 1970 à 1982 environ, il a composé alors ses plus beaux thèmes (réédités au fur à à mesure sur CD chez Universal-Emarcy) car c'est un très grand mélodiste (mais sans facilité, emphase ou vulgarité) souvent marqué (de par son enfance) par l'impressionnisme français (7 morts sur ordonnance, l'Adolescente, Barocco, Le chat), le néo-baroque (La femme flic, La fille de d'Artagnan, La dernière femme) le néo-classicisme (Fort Saganne, Allons z'enfants), le jazz (Mort d'un pourri, Flic ou voyou, Violette et François), le folklore (Le juge Fayard, Le taxi mauve, Le juge et l'assassin, Lancelot du lac), le symphonisme "grand spectacle" (Le train, Le toubib, Tess, La guerre du feu, L'ours), la musique concertante (Le sucre, Mille milliards de dollars) ou l'expérimentation atonale (Le locataire, Les seins de glace, Sortie de secours). Il est particulièrement doué pour installer des atmosphères et des climats inhabituels en utilisant des métissages de styles radicalement différents (jazz/baroque, rumba/impressionnisme, symphonique/primitif, musique de chambre/electronique, etc...), ou en mariant les images du film avec des instruments étranges ou "hors-contexte" (cor de chasse et monocorde vietnamien sur des images de glace dans "Le crabe-tambour", verres accordés dans "le locataire", flûtes contrebasses dans "La guerre du feu" et "Rêve de singe", flûtes à bec dans "La dernière femme" et le très émouvant "La femme flic", flûte de pan, guitares électriques, contrebasses piccolos, bandonéon, harmonica (Le guignolo, La nuit ensoleillée), violons électriques, accordéons diatoniques, guimbardes (sur le très mélancolique "Etoile du Nord") etc...)...
Contrairement à d'autres grands de la musique de film, il a eu la chance de travailler dès son plus jeune âge avec des réalisateurs aussi prestigieux que Claude Sautet (tous ses films depuis 1969 dont les sublimes "Mado" et "Une histoire simple" aux mélodies sombres, obsédantes et bouleversantes), Pierre Granier-Deferre, Pierre Schoenderffer (nomination au césar pour la partition étrange et tendue du "Crabe-tambour"), Roman Polanski dont il fut l'ami intime (notamment pour les sublimes "Tess" et "Le locataire"), André Téchiné (césar mérité pour "Barocco"), Bertrand Tavernier, Marco Ferreri, Robert Bresson, Jacques Rouffio, Bertrand Blier et plein d'autres qui sont d'ailleurs parmi mes cinéastes préférés !
Ma biographie complète sur Philippe Sarde :
http://www.cinezik.org/compositeurs/index.php?compo=sardemon étude sur la collaboration entre Jacques Doillon et Philippe Sarde :
Complicité avec le cinéaste Jacques DoillonQuelques extraits de musiques :
Les choses de la vie - la célèbre chanson chantée par Romy Schneider et Michel Piccoli (son pas terrible - attention)
BaroccoLe locataire